Friday, September 29, 2006

ELOGE DE LA PENSEE UNIQUE

par F.-M. Arouet
Soyons clairs ! Disons-le d'emblée : la contradiction est malvenue dans de nombreux établissements scolaires[1]. L'Ecole n'est plus un lieu de débats d'idées – l'a-t-elle jamais été ?


Au contraire, tout se passe comme si les « décideurs » – pouvoirs organisateurs et directeurs – cherchaient avant tout à s'entourer de collaborateurs qui présentent – par conviction ou par intérêt – le même profil qu'eux.


Exit les contestataires ! Ils sont vite taxés de râleurs, d'empêcheurs de tourner en rond ou de désabusés, voire d'enseignants "mal dans leur peau". Sitôt qu'on s'oppose à un changement, quelles qu'en soient les raisons, sitôt qu'on résiste, on devient l'ennemi numéro un.



Et les meilleures explications psychologiques sur le changement sont transformées en interprétations psychologisantes à l'emporte-pièce : peur du changement, corporatisme, difficultés d'adaptation…


Ces décideurs, bloqués dans leur vision du monde dysneylandisée – où tout doit être lisse, standardisé et déconflictualisé – s'enferment dans des tours de verre dont les murs leur renvoient leur propre image idéalisée.


Dans cette tour, seuls sont admis les quelques affidés, tout prêts à tendre un miroir embellissant aux décideurs. J'ai connu plusieurs enseignants prêts à tout pour obtenir des avantages : du prof qui retourne sa veste à chaque changement de direction au flatteur servile qui parvient, quel que soit le contexte, à arracher des prérogatives refusées à d'autres. La pensée unique induit la collaboration et entretient la servilité. Qui a écrit un jour que l'Ecole devait jouer un rôle subversif ?


Ces petits groupes "d'amis" ainsi constitués ont fait du consensus mou leur spécialité. Ils parviennent à grand frais à inventer des systèmes obscurs ou à élaborer des discours flous qui ont pour but de ne rien décider. Disant tout et son contraire, ils peuvent en toutes circonstances démontrer à n'importe qui qu'ils ont raison. On ne leur apprend jamais rien, ils ont toujours pensé à tout et il serait trop long d'expliquer à la masse ignorante des collègues les centaines de bonnes raisons qui les ont poussés à décider ou à ne pas décider. De toutes façons, en ultime recours, ils invoquent l'argument d'autorité : ils ne sont pas tenus de se justifier !

Or le conflit est d'une part inévitable, d'autre part porteur d'une incroyable dynamique. Des biologistes aux anthropologues, des psychologues aux entomologistes, tout le monde dira que l'endogamie, la fermeture d'un groupe à l'extérieur, est synonyme à plus ou moins long terme de disparition, de mort ! Malheureusement, c'est la mort de l'Ecole que ces décideurs signent !

[1] Il faut cependant admettre qu'il existe des écoles où les enseignants peuvent participer activement à la prise de décisions.

DES ARMES DE DISCUSSION MASSIVE

par Jill de Binche et Juan d'Ath
Quelques notions de psychologie de la communication ont envahi le cadre scolaire depuis plusieurs années. Et elles n'ont pas apporté que des avantages aux relations entre les personnes…


Une de ces notions, c'est l'écoute active. En un mot, l'écoute active est un moyen pour un professionnel de « faire voir à diverses reprises qu'il a non seulement entendu le message de son interlocuteur mais l'a aussi bien compris »
[1].


Tout n'est pas inintéressant dans cette technique, bien sûr. Au contraire, l'écoute active est un préalable indispensable pour une communication de type relation d'aide.


Le problème est que ces techniques ont été complètement isolées de leur contexte et qu'elles prétendent s'apprendre en une formation d'un jour ou deux.


Réduites au minimum, ces techniques professionnelles ne sont plus que phrases creuses, répétées mécaniquement quel que soit le contexte ou l'interlocuteur. En bref, elles ont été vidées de leur substance et ne sont plus que des gadgets communicationnels qui ratent le plus souvent leur cible.



Les adeptes de l'écoute active « allégée » distribuent à tour de bras des « Je vous entends » ou des « Je peux comprendre ». Ces phrases sont censées montrer à l'interlocuteur qu'on écoute effectivement ce qu'il nous dit, que l'on peut accéder à son mode de réflexion et donc que l'on fait preuve d'empathie à son égard.

En réalité, la personne qui s'entend répondre « J'entends, j'entends » (il convient en effet de répéter deux fois l'assertion, pour s'assurer que l'autre a bien compris qu'on l'avait compris !) a plutôt le sentiment qu'on se fout de sa poire et que le « J'entends » est une variante plus socialisée du « Parle à mon cul ma tête est malade ».


La plupart du temps d'ailleurs, quand, dans une conversation, un interlocuteur s'entend répondre « J'entends », il marque une courte pause, un bref silence et l'on peut voir les traits de son visage esquisser des marques de surprise. C'est précisément à ce moment-là qu'il se demande si l'autre le prend pour un con ou pas. Mais ces marques de surprise sont interprétées, par les maîtres de l'écoute active, comme le signe que la communication s'établit correctement, l'autre n'ayant pu s'empêcher de s'étonner qu'enfin quelqu'un l'entendait vraiment !


Oui à l'écoute active (et certains enseignants l'utilisent pertinemment), mais pas n'importe comment et surtout pas comme une technique rigide indépendante du contexte de la communication, qui nous donne envie de répondre : « J'aimerais que l'on m'entende un peu moins et que l'on m'écoute un peu plus ! »


Mais une autre notion fait des ravages. C'est celle des « messages je » ! Un « message je » s'oppose à un « message tu ». Le « message tu » est un jugement (« Tu es pénible ! ») ou un reproche (« Tu ne rends jamais tes travaux à temps ! »). Très mauvais pour la communication ! Ils doivent être remplacés par des « messages je », centrés sur soi et son ressenti, plutôt qu'orientés vers les autres. « Quand tu m'interromps tout le temps, j'ai le sentiment que tu ne m'écoutes pas ». Ou encore : « Je suis mal si je ne vois pas ton travail dans la pile des corrections ». Plus de jugement, plus de reproche et la communication peut enfin s'établir !


Le problème, de nouveau, vient d'un usage inapproprié et incorrect des « messages je » (dont je doute personnellement de l'efficacité, je préfère centrer une discussion sur des faits, que l'on emploie la 1e ou la 2e personne du singulier, mais c'est un autre débat). Et j'ai déjà entendu des professeurs « communiquer » par des « messages je » en s'en envoyant des vertes à la figure. Dire : « Je trouve que tu es une chieuse », plutôt que : « Tu es une chieuse », ça a bien l'apparence d'un « message je » sans trop en avoir le contenu
[2].


Apprendre à formuler de tels messages, cela demande beaucoup d'entraînement, d'introspection et de pratique. Ce qu'une formation de quelques heures, dispensée par un formateur lui-même formé quelques heures seulement, ne pourra jamais apporter.

[1] Gordon T. (1981). Enseignants efficaces (p. 76). Le Jour, Editeur.
[2] Un « message je » doit répondre à trois critères importants : (1) inciter l’autre à modifier son comportement, (2) vehiculer une évaluation minimale de l’autre et (3) ne porter aucun préjudice à la relation (Gordon T., op.cit., p.185).

LES PSYCHODUPEURS

Quand ils entendent le mot « psy », beaucoup d'enseignants sortent leur revolver. Et ils ont raison. Je suis même souvent tenté de leur passer quelques balles. Attention, disons-le tout de suite : je suis aussi psychologue. Je me réjouis donc que la psychologie soit entrée dans le domaine scolaire. Elle peut être éclairante et très intéressante dans beaucoup de domaines : échec, phobie scolaire, décrochage…


Si cette psychologie-là présente un intérêt indiscutable, il n'en va pas de même pour une pseudo-psychologie de bas-étage, portée souvent par des non-psychologues. Portée souvent par des non-psychologues qui entretiennent une confusion nuisible à la crédibilité de toute la profession de psychologue.


Comment différencier un psychologue d'un psychodupeur ? Ce n'est pas très difficile.


D'abord, le psychodupeur assène des jugements à l'emporte pièce, alors que le psychologue a bien appris à ne jamais poser que des hypothèses. Les psychodupeurs adorent les étiquettes et les explications toutes faites : « C'est l'oedipe ! », « Il est psychorigide ! », « S'il ne participe pas à la sortie scolaire, c'est parce qu'il a peur d'aller vers les autres ! », etc.

Deuxièmement, le psychodupeur balance des conseils à tour de bras, même si on ne lui a rien demandé, surtout si on ne lui a rien demandé. Il conseille, mais en fin de compte il tente d'imposer sa façon de voir les choses, car le psychodupeur est certain d'avoir tout compris avant les autres et mieux que les autres.

Troisièmement, le psychodupeur condamne. J'ai entendu un jour un psychodupeur culpabiliser une mère qui passait un dvd à sa fille : la télé gardienne, l'objet qui remplace l'humain, l'absence de commmunication, l'indifférence des parents prêts à tout pour que leur gosse soit tranquille… tout y est passé !

Enfin, le psychodupeur généralise. Ainsi, l'un d'eux aime répéter : « Tout le monde sait que les adolescents feront une chose dès qu'elle est interdite. Ils aiment braver l'interdit ! » Faux ! Certains adolescents, oui. D'autres, pour des raisons un peu longues à expliquer, préfèrent respecter ces mêmes interdits.

La complexité du monde, voilà en bref ce que le psychodupeur ignore ! Il est aussi incapable de penser l'altérité, c'est-à-dire qu'il puisse exister une autre façon d'être que la leur. Ou plutôt, ils ne peuvent admettre qu'il existe d'autres bonnes façons d'être que la leur !

Qu'est-ce qui motive ces psychodupeurs ?
Que cherchent-ils à compenser en usurpant les prérogatives d'une profession à laquelle ils n'ont pu avoir accès ? Probablement trouvent-ils dans cette situation des bénéfices, comme une forme de pouvoir à exercer sur autrui. Le pouvoir de celui qui sait, de celui qui a compris les événements de l'intérieur.
Le pouvoir aussi de celui qui juge, qui prétend mieux connaître les personnes que les personnes elles-mêmes. Qui prétend connaître à leur sujet des choses qu'elles-mêmes ignorent.

Peut-être, enfin, la satisfaction démagogique d'être un professeur qui recueille les confessions des jeunes, confessions qu'ils obtiennent parfois grâce à une pression implicite sur l'adolescent.

Toujours est-il qu'un certain nombre de ces psychodupeurs semblent avoir des comptes à régler avec leur propre scolarité, comptes qu'ils règlent aujourd'hui avec leurs collègues. L'énergie orientée mal à propos vers les autres – et qu'ils dépensent en vain – n'auraient-ils pas plus intérêt à la consacrer à l'introspection ?

L’école ne doit pas faire le travail des psys (sauf, peut-être, si ce sont de vrais psys qu’ils le font), mais doivent travailler avec les psys. De son côté, le psy, recevant un enfant en consultation privée, ne fera pas le travail d’un enseignant.

Chacun a sa spécialisation, ses compétences professionnelles et ses domaines d’action. Développer des réseaux de professionnels devient la seule solution pour faire face à des situations multiples et complexes. Mais il faut pour cela que chacun accepte la place qu’il lui revient et ne s’estime pas en droit de revendiquer celle d’un autre, parce que l’herbe y paraît plus verte.

POURQUOI CE BLOG ?

Depuis plusieurs années, je suis interpellé par plusieurs « innovations » qui ont été injectées dans les pratiques enseignantes, par les ministères, fédérations, syndicats, voire par les enseignants eux-mêmes.

Quelques « innovations » qu'on aurait mieux fait d'éviter ou de réfléchir davantage et qui pompent l'air quotidien de milliers d'enseignants. Ces « innovations » seront passées en revue dans ce blog, non sans un certain cynisme. Le lecteur est averti…

Je ne parlerai pas nécessairement de l'école dans laquelle je travaille et j'ouvrirai ce blog à des contributions extérieures.

Cependant, toute ressemblance avec des personnes ou des événements existant ou ayant existé ne sera ni fortuite ni involontaire…

MANIFESTE POUR UNE TREVE SACREE

J'enseigne depuis dix ans et j'ai connu pendant cette décennie un nombre incroyable de réformes ou de décrets qui ont bouleversé les pratiques professionnelles. Enseignant le français en matière principale, j'ai dû travailler sur trois programmes différents au premier degré et deux pour le deuxième degré. J'ai connu les socles de compétences, les compétences terminales, le décret Missions, deux réformes des congés maladie (dont la seconde annulait les effets de la première !), le contrat d'avenir pour l'école. Et j'en passe peut-être !

La plupart de ces décisions ont été accueillies froidement par un corps professoral à qui on a reproché son inertie, son manque de conscience professionnelle ou son repli identitaire. On a dit de nous que nous étions incapables de nous remettre en question et on a douté de notre capacité d'adaptation. « La société a muté, disait-on, l'enseignement de papa est terminé. Les enseignants doivent apprendre à aller de l'avant ».


Et ils sont tous allés de l'avant
Ils ont tous revus leurs leçons, contrairement à ce que l'on a voulu faire croire. Les enseignants se sont adaptés à toutes les réformes qui leur ont été imposées, mêmes les plus stupides, mêmes celles qu'ils avaient combattues âprement dans les rues (désolé de décevoir ceux qui croyaient qu'ils étaient descendus en rue pour ne pas travailler !)

Bien sûr, certains ne les ont pas appliquées totalement. Ils ont intégré les nouveautés à leurs pratiques anciennes, créant ainsi une multitude de pratiques singulières, plus ou moins éloignées des programmes officiels, mais en lien avec leur passé et leur histoire professionnelle.

D'autres ont tenté de développer de nouvelles pratiques les plus proches possibles des recommandations officielles. Quelques-uns par réelle conviction, d'autres par un excessif souci professionnel. Ces derniers y ont aliéné leur identité, ce qui les a plongés dans une profonde souffrance professionnelle.

Oui, les enseignants ont suivi les réformes. Mêmes si celles-ci étaient lancées trop vite, sans réelle réflexion, dans l'urgence politicienne. Par exemple, et sans trop entrer dans les détails, la réforme des compétences a été mise en place sans une réelle réflexion sur leur évaluation. Faux, diront les géniteurs de la réforme ! Evidemment, on pouvait assez tôt lire quelques lignes très générales ou quelques documents crachés à la va-vite, mais rien de plus. Rien de suffisant.

Les problèmes, ce sont les enseignants qui les ont soulevés et qui ont interpellé les formateurs, conseillers et inspecteurs, qui leur ont parfois répondu qu'ils devaient faire preuve d'imagination ! En d'autres termes, ils devaient trouver aux-mêmes les réponses aux problèmes que d'autres leur posaient!

Mais pourquoi toutes ces réformes ?
Parce que l'école est en crise, bon sang ! Tout le monde le sait ! Les enfants qui s'y ennuient le savent. Les parents, pour qui tout était mieux avant, le savent aussi. Les enseignants abusés et désabusés le savant mieux que quiconque. Les médias le savent, parce que les médias savent tout. Les entreprises le savent parce qu'elles ne parviennent pas à trouver du personnel qualifié. Les ministres le savent, parce qu'un ministre, par définition, c'est savant. Et l'Europe le sait aussi, parce que l'Europe a un avis sur tout et que cet avis est toujours le bon. Enfin, l'enquête Pisa a montré cette crise et l'a même montrée scientifiquement !

La crise de l'école est une évidence sociale partagée par tous… mais jamais interrogée. Loin de moi l'idée de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Bien sûr, il y a de gros problèmes dans notre système éducatif.

Mais qu'y a-t-il de réellement neuf dans tout cela ?
Dès l'Antiquité, les philosophes se plaignaient de la jeunesse qui, déjà, n'était plus ce qu'elle avait été de leur temps. Au moyen-âge, les professeurs d'université soulignaient la bêtise de certains de leurs étudiants et s'inquiétaient de l'avenir. L'école n'a jamais vraiment vécu un âge d'or et durant toute l'histoire, des pédagogues ont fustigé l'école « traditionnelle » – qui n'était autre que l'école « contemporaine » – pour proposer une autre vision de l'enseignement, censée réussir là où les autres avaient échoué. Et cela, de Coménius à Freinet et de Freire à Makarenko. Cette crise de l'école se retrouve à travers les siècles et les continents !

On est en droit de se demander alors si ce n'est pas le propre de tout système vivant – je veux dire par là animé d'une force quelconque – d'être en crise ? L'état de crise n'est-il pas inhérent à tout système, que ce soit l'école, la famille, le couple, l'état…

Si par crise on entend tout événement après lequel plus rien ne pourra être comme avant – qui est la définition que certains systémiciens lui donnent – on comprend que les crises sont inévitables, voire souhaitables.

Dans un petit livre parfois urticant, Michel Develay[1] signale qu'il existe deux origines sémantiques du mot crise. La première, grecque, vient de krisis et renvoie à une période critique dans l'évolution des choses. La crise est un état de tension maximal, essentiellement désagréable : crise d'angoisse, crise d'épilepsie… Elle est, dans cette acception, un état, plus ou moins temporaire, à l'issue incertaine et souvent malheureuse.

L'autre origine est chinoise. La crise possède alors un double sens : celui de fin et de recommencement. La crise entérine la fin d'un état, d'une situation, mais elle est annonciatrice de changement. Une chose meurt, mais une autre prend sa place. La crise n'est plus un état, mais un processus dynamique.

L'école est en crise !
La belle affaire ! Depuis son invention, elle n'a cessé d'être en crise. Mais pendant de nombreux siècles, elle en est sortie grâce aux ressources du système lui-même. La crise a initié de nombreuses réflexions, qui ont engendré de nouvelles pratiques, des pratiques multiples, parfois contradictoires, mais qui témoignaient toutes d'une grande vitalité du système, de sa bonne santé.

Où est le problème alors ?
Le problème ne résiderait-il pas dans cet acharnement politique et politico-pédagogique ? La difficulté de tout système en crise, difficulté qu'il surmonte par ses ressources propres, a été transformée en problème suite à l'intérêt excessif, à l'ingérence même de facteurs périphériques qui ont ruiné cette capacité de survie qu'avait l'école, qui ont déstabilisé sa dynamique interne. Le processus créatif de revalidation du système a été bloqué et la crise est devenue un état permanent.

Comment sortir du problème ?
En sortant d'un séminaire de la Biennale de l'Education de Lyon, j'entendais quelques collègues discuter sur ce qu'il faudrait à l'école pour sortir de la crise. Les solutions étaient variées : pousser les réformes plus loin, désacraliser l'institution scolaire, donner davantage la parole aux élèves pour qu'ils s'ennuient moins…

En bref, il s'agissait de faire toujours plus de la même chose ! Que cette « même chose » n'ait pas fonctionné avant, personne ne s'en préoccupait ! Ce qui importait surtout, c'était d'enfoncer le clou davantage ! Pas de changer de direction, pas de trouver d'autres solutions !

Si votre enfant fait pipi au lit depuis une semaine et que vous lui administrez une gifle tous les soirs, en vain, ce n'est pas avec deux gifles de plus que les choses vont changer. Il faudra trouver autre chose, qui soit une meilleure idée que les gifles (ça, ce n'est pas difficile).

Et bien, à l'école, c'est le même : l'institution pisse au lit depuis des années et elle reçoit des gifles depuis des décennies, des gifles dont l'intensité ne cesse de croître avec le temps.

Pendant cette discussion, j'étais resté silencieux, ce qui avait fortement surpris mes collègues. L'un d'eux avait fini par me demander :
- « Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? De quoi l'école a-t-elle besoin pour toi ?
- Pour moi, répondis-je, ce dont l'école a besoin ?
- Oui !
- Eh bien, je pense que ce dont elle a besoin avant tout, c'est qu'on lui foute la paix quelques années !
- Quoi ?
- Oui, qu'on la laisse respirer. Qu'on laisse les principaux concernés retrouver leur capacité d'innovation, plutôt que de les faire passer pour des incompétents et des assistés qui ne pourraient jamais s'en sortir sans « l'aide » de pédagogues de bureau.
- Tu veux qu'on laisse les profs tranquilles !
- Les profs, les élèves, les parents ! Ce ne sont pas des abrutis ! Ils connaissent le système mieux que personne ! Ils savent mieux que quiconque ce qui est bien pour eux !
- Tu veux dire qu'il faudrait organiser des conférences où ils pourraient partager…
- Foutaise ! Qu'on n'organise rien pour eux, ils s'organiseront bien tout seuls ! Et de la manière qui les arrangera le mieux !
- Tu te rends compte que c'est impossible…
- Impossible, oui, je sais. Impossible parce qu'on ne supporterait jamais dans notre pays de laisser un si grand nombre de personnes sans contrôle, sans pilotage, sans inspection, sans conseil, sans leçon…
- Tu es sérieux ?
- Sérieusement, ce dont l'école a besoin, selon moi, c'est d'un peu de sérénité, d'un peu de souffle. Tu sais ce qui serait formidable ?
- Non !
- Une sorte de trêve sacrée. Comme un armistice : l'assurance de foutre la paix à l'école pendant au moins deux législatures. Et puis on verrait, on évaluerait… Ça ne coûte rien d'essayer.
- Tu rigoles, ça sacrifierait deux générations d'élèves…
- C'est sûr que pour l'instant, elles ne sont pas sacrifiées ces générations-ci ! Tu supportes ça, toi ?

Voilà, à peu près, le dialogue qui eut lieu à cette Biennale. J'avais un peu lâché cette phrase par provocation… « Foutre la paix à l'école… » Mais en y repensant, je n'avais peut-être pas totalement tort. Depuis, je n'ai cessé de penser à plusieurs « innovations » qui ont été injectées dans les pratiques enseignantes, par les ministères, fédérations, syndicats, secrétariats, voire par les enseignants eux-mêmes. Quelques « innovations » qu'on aurait mieux fait d'éviter ou de réfléchir davantage. Quelques « innovations » qui pompent l'air quotidien de milliers d'enseignants. Quelques « innovations » qui, dans ce blog, seront passées en revue…non sans un certain cynisme. Le lecteur est averti…

[1] Develay M. (1996). Donner du sens à l’école. Paris : ESF.