Saturday, January 27, 2007

ON NOUS AVAIT DIT (2)

On nous avait dit : "Sus à la culture bourgeoise!" (3/3)

Connaître cette culture est nécessaire. Que ce soit pour l'apprécier, la vénérer, pour la combattre ou la dépasser, même ! Si Victor Hugo a choqué dès les deux premiers vers de Hernani, c'est parce qu'il connaissait les règles "classiques" qu'il désirait combattre. Et si les surréalistes, grands pourfendeurs de la culture bourgeoise, ont « insulté » Anatole France dans Un cadavre, c’est parce qu'il l'avaient lu et qu'ils connaissaient sa pensée (et qu'ils l'avaient interprétée selon leurs grilles de lecture).

Dépoussiérer la culture dominante nécessite de maîtriser ses codes. Partager la même culture contribue également au sentiment de reliance sociale. Et la connaissance culturelle, c’est aussi l’expression d’un pouvoir !

ON NOUS AVAIT DIT (2)

On nous avait dit: "Sus à la culture bourgeoise!" (2/3)

Parlons sérieusement cette fois. Bien sûr, la hiérarchie entre les cultures est contestable. Et le bon goût culturel, la culture dominante, n'est jamais que la culture de la classe dominante, comme l'a montré Bourdieu.


Mais l'erreur a été la suivante: en accueillant un peu trop la culture de masse, l’école n'a fait que maintenir l'écart entre les cultures. Maintenir le jeune dans la culture de son environnement. Maintenir le jeune à l'écart des codes culturels véhiculés par cette "classe qui domine". Elle a contribué à creuser un fossé alors qu'avant il n'y avait peut-être qu'une frontière.


Car l'essentiel n'est pas d'aimer cette culture "dominante". Mais de la connaître et d'en connaître les codes! Afin de ne pas être maintenu en dehors du cercle, afin de ne pas être "hors-jeu"!

ON NOUS AVAIT DIT (2)

Cette nouvelle série revient sur quelques innovations fécondes et sur les bénéfices inespérés qui en ont résulté…

On nous avait dit : « Sus à la culture bourgeoise ! »


L’école se rendait enfin compte qu’elle véhiculait la culture dominante et qu’elle négligeait la culture populaire. Qu’elle méprisait même la culture de ces gamins et de ces filles issus des campagnes, des banlieues ou des corons.

Aujourd’hui, on a remis les choses à leur place ! Dans certains manuels scolaires, les 2 be 3 ont enfin occupé la place qu’ils méritaient et plus personne n’a honte désormais de faire lire en classe Marc Lévy ou Amélie Nothomb.

Le slam de Grand corps malade (« Dites-moi d’où vient ce phénomène qui mène tout droit à l’impasse /Qu’est-ce qui se passe, je vois plus les traces, je reconnais plus mon espace ») vaut bien après tout rené Char ou (comment s’appelle-t-il encore, ce poète qui a un nom d’eau… ah, voilà) Guillaume Apollinaris !

Tout se vaut. Plus de hiérarchie stupide entre les œuvres et les pratiques bon dieu ! Au nom de quoi, d’ailleurs ! Après tout, il est normal de trouver la chanson « Tourner les serviettes » de Patrick Sébastien plus drôle que les textes d’Alphonse Allais ou de Pierre Daninos, qui écrivent comme on ne parle plus !

ON NOUS AVAIT DIT (1)

Cette nouvelle série revient sur quelques innovations fécondes et sur les bénéfices inespérés qui en ont résulté…

On nous avait dit : « Plus de drill ! »

Pendant de nombreuses années, des tas d’enseignants ont pratiqué cet apprentissage systématique dénué de sens et d’intérêt !

Ils ont formé des perroquets, des robots ! Une jeunesse dorée gâchée dans le psittacisme !

Le drill, c’était l’armée ! La légion étrangère ! L’obéissance servile ! Bref, une pratique d’un autre âge.

On n’apprenait rien avec le drill, on ne construisait pas le savoir ! On l’ingérait, puis on le vomissait avec plus ou moins d’élégance.
Aujourd’hui, grâce à cette révocation, les jeunes n’en savent peut-être pas plus qu’hier, mais ils sont plus épanouis !

PLUS DE SESSION A NOEL (4/4) ?

Par Benoît Demonty
Pourquoi conserver une session à Noël? D'abord, parce qu'évaluations et apprentissages sont liés. Ensuite, parce qu'une session est porteuse d'apprentissages pour le jeune (organisation, méthode de travail...)
Enfin – et ce serait le plus important pour moi – pour l’aspect symbolique des sessions. Le symbolique renvoie à quelque chose de l’ordre du cérémonial. Selon certains, notre société se vide de symbolique, alors qu’il établit des repères, instaure des rituels sociaux et renforce par là la cohésion sociale.

Evidemment, toute évaluation est a priori suspecte. Loin d’être une mesure, elle n’est qu’une indication.

On ne peut pas affirmer qu’avec cette session de fin d’année civile tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… Mais si elle doit être repensée, elle devra l’être par des enseignants de terrain, au sein d’équipes éducatives, qui si elles l’estiment nécessaires se renseigneront auprès d’ « experts en pédagogie ». Car en fin de compte, les vrais experts, ce sont ces enseignants…

PLUS DE SESSION A NOEL (3/4) ?

Après tout, pourquoi conserver cette session ? Sans trop y réfléchir, je vois au moins 3 bonnes raisons.

Premièrement, qu’on le veuille ou non, qu’on aime ça ou pas, l’apprentissage est souvent intimement lié à l’évaluation. Sans évaluations, les élèves apprendraient-ils spontanément ? Sans évaluations, se diraient-ils un soir instinctivement : « Je vais étudier mes TP en anglais parce que c’est bon pour mon avenir » ?
[1]

Deuxièmement, parce qu’une session d’examen est aussi porteuse d’apprentissages pour le jeune : organisation, méthode de travail, dépassement de soi, assimilation d’un certain volume de matières en peu de temps…


[1] Certains me répondront que je n’ai rien compris et, qu’à l’heure des compétences, il s’agit d’évaluer davantage de savoir-faire que de savoirs. Oui, on sait ça, merci ! Mais tout savoir-faire nécessite des savoirs, tant parce ce qu’il porte sur des savoirs que parce qu’il s’exprime en partie par des savoirs. Oh là là là, faut que je me calme, je parle à la Meirieu…

Wednesday, January 10, 2007

PLUS DE SESSION A NOEL (2/4) ?

Par Benoît Demonty

George Bush estimait que le meilleur moyen de lutter contre les incendies de forêt, c’était de couper les arbres…

Ce « bon sens » bushien nous fait bien rire, mais parfois nous avons tendance à adopter le même raisonnement simpliste…


Ce raisonnement consiste à supprimer les données d’un problème quand on est bien incapable de supprimer le problème lui-même. Ainsi, en supprimant la session de Noël, certains espèrent-ils lutter contre l’échec scolaire !

Bush pédagogue lâchant des inepties, ça vaut bien Meirieu disant tout et surtout son contraire, sauf ce qu’il n’a jamais dit*.

* Lire à ce sujet l’édifiant L'enfant, l'éducateur et la télécommande, de Philippe Meirieu et Jacques Liesenborghs, aux Editions Labor.

PLUS DE SESSION A NOEL (1/4) ?

Par Benoît Demonty

Dans le Soir du 8 janvier, Frédéric Soumois présentait l’avis d’« experts en pédagogie* » qui doutaient de l’intérêt de la session d’examen de Noël.
Certains prétendent même – mais cela ne figurait pas dans l’article – que la suppression de cette session serait à l’étude au Ministère.


Pour quelles raisons supprimer cette session ?
D’abord parce qu’elle prend du temps ! Et que le temps passé à évaluer, c’est du temps perdu pour l’apprentissage.
Ensuite parce que les évaluations sont trop hétérogènes selon les établissements et les enseignants. Elles n’auraient donc pas de vraie « valeur » dans l’absolu. Enfin parce que le système pédagogique belge est « maniaque » de l’évaluation, selon Vincent Carette, professeur assistant en sciences de l’éducation à l’ULB.
* Il n'y avait en fait que deux témoignages et qui allaient tous deux dans le même sens...

Saturday, January 06, 2007

LES RELATIONS ENTRE COLLEGUES DE TRAVAIL (2 - 2/2)

Illustrons la "triade des émotions"... Madame M* est enseignante. Son discours est simple et assez partagé : « Il faut dire aux gens ce que l'on pense d'eux ». Cette attente fonctionne, pour elle, dans les deux sens : elle dit ce qu'elle pense et elle attend en retour que les autres soient francs avec elle.


Quand on lui demande ce qu'elle observe au quotidien en fonction de cette attente, elle répond qu'elle est entourée de faux-culs, d'hypocrites dont elle est très souvent la victime. Les émotions liées à ces observations sont essentiellement négatives : colère, dégoût, tristesse profonde…


Ce qu'elle voudrait, c'est que les autres changent. Je lui réponds que c'est impossible, si eux ne désirent pas changer. Et puis rien ne me prouve que ses collègues sont effectivement comme elle les décrit ! Je lui propose donc de travailler sur son ressenti, seule chose dans la situation sur laquelle elle peut avoir prise.


En approfondissant les éléments qu'elle me donne, nous parvenons à remonter à sa croyance, liée à des expériences de vie difficiles. Cette croyance pourrait s'exprimer ainsi : « De toutes façons, dans la vie, on ne peut faire confiance à personne ».


On voit combien, dans cette situation, les observations viennent confirmer une croyance, qui elle-même invalide son discours ! Inconsciemment, elle se projette dans un scénario au sein duquel la déception, l'inimitié, le sentiment de solitude sont presque inéluctables.
Dans cette optique, assouplir la croyance en laissant la porte ouverte à d'autres observations constitue une piste intéressante de travail.


Le travail sur cette triade est complexe, car la plupart de ses éléments sont implicites, infraconscients. Ils s'avèrent néanmoins essentiels pour une meilleure compréhension de soi et une meilleure gestion de ses émotions au travail.


LES RELATIONS ENTRE COLLEGUES DE TRAVAIL (2 - 1/2)

Par Benoît Demonty


Dans le cadre des ateliers de formation pour intervenants sociaux que j'ai le plaisir d'animer, je propose des modules sur la « gestion des émotions au travail » (quelques infos sur
http://w3.umh.ac.be/~pourtois/creas/semestre_1_2007.pdf).


Ces ateliers sont toujours très enrichissants au niveau personnel et professionnel.


Le travail réalisé avec les participants me montre que, souvent, l'on a tendance à rejouer sur le lieu du travail des conflits ou des scènes héritées de notre famille ou de notre couple.


Beaucoup souffrent, par exemple de croyances un peu trop rigides, qui se sont constituées au fil de leur expérience de vie et bien souvent avant même toute expérience professionnelle.


En parallèle à ces croyances, le travailleur porte un discours, qui pourrait se traduire comme une attente ou une demande très importante concernant les relations professionnelles. Là aussi la frontière entre vie professionnelle et privée est poreuse.


Enfin, la personne réalise toute une série d'observations concernant la vie professionnelle. Mais la plupart du temps, ces observations sont inconsciemment orientées vers la confirmation des croyances. Alors que la personne croit observer la réalité, il ne fait que continuer à regarder la réalité qu'il s'est construite. Sans le vouloir, il falsifie ses observations.


Ces trois éléments forment ce que j'ai appelé la triade des émotions... (à suivre).

UNE USINE A IMPUISSANTS (3/3) ?

Par Benoît Demonty


Certains établissements, adeptes du célèbre « marche ou crève », n'ont aucun scrupule à faire échouer ou à réorienter des jeunes pour qui l'école est précisément nécessaire et n'acceptent de travailler qu'avec des adolescents qui, en fin de compte, peuvent presque se passer des enseignants !


Dans d'autres établissements, c'est l'extrême inverse : les enseignants n'osent pas être exigeants en classe alors qu'ils disposent d'un système d'aide d'une qualité inouïe !


Je prêche ici pour un renforcement des exigences de chaque enseignant dans chacun des cours. Je ne dis pas que nous faisons mal notre boulot. Je pense plutôt que nous n'osons pas toujours être exigeants, par peur d'on ne sait trop quoi.


J'entends parfois cette phrase assassine : on a les élèves qu'on mérite. C'est faux, bien sûr ! Par contre, ce qui est indiscutable, c'est que l'on a les élèves que l'on s'attend à avoir ! En d'autres termes, comment avoir de bons élèves en classe si nous sommes persuadés qu'ils ne sont pas suffisamment bons pour réussir ? Plus ou moins inconsciemment, toute notre pédagogie sera orientée en fonction de la faiblesse présumée de nos élèves, qui, gentiment, répondront à nos attentes ! N'est-il pas logique de penser que plus l'on demande, plus l'on obtient ?

UNE USINE A IMPUISSANTS (2/3) ?

Par Benoît Demonty

Et si la solution était devenue le problème... ?
Ce serait un comble ! Mais ça vaut la peine d'y réfléchir un instant.
Et si tout le système d'aide aux élèves en difficulté avait participé à la déresponsabilisation, voire à la fragilisation des élèves ? Et si l'on avait voulu trop bien faire ?


Qui n'a jamais eu l'impression de participer à la création d'un univers scolaire aseptisé ? Un univers où il faut à tout prix éviter que les élèves vivent stress, tension, pression, échec, ennui, douleur... ? Ne serait-ce pas oublier un peu vite que le stress, l'anxiété, l'échec, l'ennui font aussi partie de la vie et que se construire, c'est également affronter une forme de « violence » ?


Si nous oublions cela, ne risquons-nous pas de former des êtres dépendants, fragiles, inaptes à affronter l'existence, incapables de résoudre des problèmes et impuissants à surmonter les obstacles ?


Evidemment, je dessine ici à gros traits une caricature qui peut choquer certains, mais il me faut frapper les esprits le plus possible avec le moins de mots possibles. Malgré cette exagération, je suis persuadé que la question de « la solution devenue problème » doit animer notre réflexion, même si ce n'est assurément pas la seule cause de la situation actuelle.


Cependant, comprenons-nous bien : il ne s'agit pas de remettre en cause l'utilité de tout le système de soutien mis en place dans l'école. Je répète : ce système est excellent. Il s'agit plutôt d'en maximiser l'impact en atténuant les éventuels « effets inattendus indésirables ».

UNE USINE A IMPUISSANTS (1/3) ?

Par Benoît Demonty


Il y a quelques années, des professeurs faisaient le constat suivant : les élèves n'ont pas de méthode de travail, ils sont submergés par des problèmes personnels qui les empêchent d'investir l'école, ils demandent plus de communication avec les enseignants, etc.


Alors que certains pensaient encore qu'ils étaient des professeurs et pas des assistants sociaux, d'autres se sont rendus compte de la nécessité d'ouvrir l'école à d'autres disciplines que la pédagogie.


Certaines écoles ont opéré une « révolution pédagogique », innovant sans cesse : des cours de méthode de travail ont été dispensés aux élèves qui le nécessitaient, des enseignants et des éducateurs sont devenus presque des confidents pour les élèves, ce qui a permis de donner une voix dans l'école au désarroi quotidien de certains jeunes, etc.


Toutes ces initiatives (et toutes celles que j'aurais pu citer aussi) ont été – et sont encore – nécessaires, pertinentes et positives.


Seulement, on a peut-être trop vite oublié qu'un tel système n'était viable que si l'on responsabilisait au maximum les élèves...

Wednesday, October 04, 2006

LECTURES INTERESSANTES

Voici trois ouvrages pour ceux qui désirent entrer en dissidence...



LA FABRIQUE DU CRETIN

La mort programmée de l'école
Jean-Paul Brighelli


Texte de l’éditeur :
« Nos enfants ne savent plus lire, ni compter, ni penser. Le constat est terrible, et ses causes moins obscures qu'on ne veut bien le dire. Un enchaînement de bonnes intentions mal maîtrisées et de calculs intéressés a délité en une trentaine d'années ce qui fut l'un des meilleurs systèmes éducatifs au monde. Faut-il incriminer les politiques, les profs, les parents, les syndicats, les programmes ? En tout cas, la Nouvelle Pédagogie a fait ses « preuves » : l'école a cessé d'être le moteur d'un ascenseur social défaillant. Ceux qui sont nés dans la rue, désormais, y restent. Dès lors, que faire ?
Jean-Paul Brighelli analyse avec une lucidité féroce, sans nostalgie exagérée, cette école de la réussite devenue si souvent école de l'échec programmé et donne des solutions pour une école de demain. Normalien, agrégé de Lettres, il a, du collège à l'université, parcouru l'essentiel du paysage éducatif. Longtemps impliqué dans l'édition scolaire et para-scolaire, il en démonte au passage les mécanismes et les intérêts convergents. »



L'HYPOCRISIE PEDAGOGIQUE
Laurent Demoulin


Texte de l’éditeur :
« Quand il s'agit d'enseignement, deux discours se font face. D'un côté, le grognement réactionnaire de ceux qui appellent de leurs vœux le grand retour de l'autorité patriarcale. De l'autre, le babil mièvre, contradictoire et hypocrite de la pédagogie dominante, qui, malgré ses bonnes intentions, cause de nombreux dégâts en refusant aux enseignants toute forme de légitimité. Et pendant ce temps, dans les classes, les professeurs et les élèves éprouvent de plus en plus de difficultés à vivre ensemble… Dans ce texte virulent, ironique, drôle et grave, l'auteur démonte avec verve ces deux discours. Il s'en prend notamment au décret « Missions de l'école », dont il démonte les contradictions et les dérives. Ensuite, il cherche une troisième voie en réfléchissant aux notions de tiers institutionnel et d'expert. »

Les premières pages peuvent être consultées sur…
http://www.talus.be/prlignes/070.pdf#search=%22hypocrisie%20p%C3%A9dagogique%22



LA DÉFAITE DE LA PENSÉE
Alain Finkielkraut


Texte de l’éditeur :
« Le rêve des Lumières
est-il révolu ? Le progrès, la pensée, la culture peuvent-ils encore constituer un quelconque espoir ? Déjà, Freud parlait du "malaise de la culture", mais la culture de masse du crépuscule du XXème siècle nous rend encore plus sceptique à une véritable démocratisation de la culture. Finkielkraut nous livre un brillant essai, s'interrogeant sur les causes d'un état des lieux inquiétant. »






LES RELATIONS ENTRE COLLEGUES DE TRAVAIL (1)

par B. Demonty
"L'enfer, c'est les autres !"

C'est en tout cas ce que Sartre faisait dire à l'un de ses personnages dans Huis clos.

Pourquoi cette épigraphe ?

Face à l'insistance de quelques amis et face à la richesse du matériau(1) qui se présente à mes yeux, je me suis engagé à rédiger une série de "post" sur le sujet.

Pour commencer la série, je me contenterai de présenter deux principes fondamentaux qui, s'ils sont respectés par tous, transformeront de manière positive certaines relations professionnelles.


Pour le premier, je vous renverrai au blog d'un ami et au célèbre texte des trois tamis : http://ledernierdesmohicans.blogspot.com
A méditer d'urgence et à appliquer sans craindre d'effets secondaires.
Le deuxième principe est inspiré de la Bible : au lieu de voir la paille dans l'oeil du voisin, regarde la poutre dans le tien. L'esprit y est, pas la lettre. Si quelqu'un possède le texte, je suis intéressé. D'une manière générale, cela invite à privilégier l'introspection et la réflexivité personnelle au jugement à l'emporte pièce porté sur autrui.
Et bien souvent, comme disait ma grand-mère, "on n'est noirci que par un noir pot" ! Cette sagesse populaire pourrait trivialement se lire ainsi : occupe-toi de tes bretelles avant de vouloir remonter celle des autres. Ou vérifie d'abord si tes oignons sont mangeables avant de critiquer ceux du voisin. Ou encore, préoccupe-toi d'abord d'être moins c... chaque jour, plutôt que de traiter l'autre de c... Mais je m'égare...
De plus, on ne connaît pas vraiment ses collègues et ce n'est pas parce qu'on les côtoie quelques minutes par jour, même depuis de nombreuses années, qu'on peut se vanter de tout savoir à leur sujet.

Evitons donc les phrases commençant par : "Il est..." ; "C'est une..." ;"Lui, c'est le spécialiste de..." ; "Elle n'apprendra jamais à...". Tout au plus pourrait-on dire de quelqu'un qu'il "se montre" comme ceci ou comme cela. Et c'est déjà s'avancer beaucoup, car incontestablement on ne voit que ce que l'on s'attend à voir...

Evitons donc d'enfermer les gens dans des catégories qui ne sont que des projections de notre représentation du monde, pas le monde.

En thérapie systémique, on insiste particulièrement là-dessus : on dit que "la carte n'est pas le territoire". Une carte n'est qu'une représentation plus ou moins complète du territoire, mais en aucun cas une copie fidèle.

Et l'on n'a pas besoin d'être un thérapeute systémicien pour appliquer ce principe au jour le jour et devenir donc... un peu plus humain ?

(1) Enseignant moi-même, j'ai beaucoup d'amis enseignants et mon épouse, "maître spéciale" de langues dans le primaire, travaille dans quatre écoles. Ce ne sont donc pas les "anecdotes" qui manquent !

Monday, October 02, 2006

ENFIN UN COMMENTAIRE !

Un de mes collègues, que j'estime beaucoup, m'a envoyé ce mail. Je pense qu'il est intéressant que chacun le lise :

"Salut Ben,

Je suis pas arrivé à placer mon comment sur ton blog alors je te l'envoie en direct.
Attention tout de même à ne pas confondre pensée unique et cohérence pédagogique. Un débat ouvert a lieu avant la prise de décision. Par la suite, chacun, élève ou prof, trouve avantage à ce qu'on ne tiraille pas dans toutes les directions. Non ?"

Premièrement, je remercie vivement ce collègue d'avoir ouvert la discussion.

Je le rappelle : il faut que le système se réapproprie la dynamique dont il s'est laissé déposséder (lire le post Manifeste pour une trêve sacrée) !

Les enseignants – mais aussi les parents et les élèves – doivent relancer la réflexivité sur l'Ecole, dont ils ont été tenus éloignés, quelle que soit leur opinion.

Deuxièmement, j'aimerais répondre ceci :

S'il y a effectivement débat d'idées, au terme duquel on parvient à un "métapoint de vue" (un peu dans l'acception que donne à ce terme le philosophe Edgar Morin), il y a cohérence pédagogique dans l'application des décisions, bien sûr. Puisqu'il y a débat – donc confrontation de point de vue idéologiques divers – on ne peut parler de "pensée unique".

Par contre, il y a, à mon sens, pensée unique dans trois contextes bien précis :

- D'abord, quand le système-décideur est constitué d'amis, choisis pour leur optique commune, et qu'il considère que la confrontation avec les idées provenant d'autres systèmes n'est pas nécessaire, voire est une perte de temps et d'énergie.

Le débat d'idées présente, dans l'idéologie actuelle du "temps qui presse", un double désavantage : il exige une énergie psychique importante et il inscrit toute décision dans une autre temporalité.

- Ensuite, quand le débat d'idées est faussé dès le départ, les décisions ayant déjà été prises en amont.

Quand Meirieu explique l'échec des réformes pédagogiques en France par le fait "qu'elles n'ont pas suffisamment été expliquées aux enseignants", il s'inscrit dans cette optique. Le débat ne porte pas sur l'essence des réformes. Il consiste simplement à convaincre les destinataires des réformes.

- Enfin, quand le débat en question est organisé dans un espace
[1]-temps tel qu'il est impossible à une majorité de personnes de s'y rendre.

On en conclura alors, avec une pleine et entière mauvaise foi, que chacun a eu l'occasion de s'exprimer ! Les absents ayant toujours tort, ils seront par la suite condamnés au silence : il n'avaient qu'à être présents !

Pour conclure, gardons toujours à l'esprit que cette pensée unique n'est qu'une idéologie, mais une idéologie qui se présente comme une observation neutre et objective de la "réalité".

Elle tend à faire croire que les postulats de départ de leur argumentation sont des vérités. Elle entretient une confusion entre opinion et fait. Or les prémisses étant fausses, la conclusion ne peut pas être valide.

Je citerai comme exemple de ces postulats (n'oublions pas qu'un postulat est une "proposition que l'on demande d'admettre comme principe d'une démonstration, bien qu'elle ne soit ni évidente ni démontrée"
[2]) :

- la transférabilité des célèbres compétences transversales (qu'elles portent ce nom-là ou un autre) ;
- le modèle grammatical comme modèle idéal de l'enseignant d'une langue étrangère ;
- la "toute-puissance" de la gestion mentale, qui n'est qu'une modélisation intelligente d'un mode de fonctionnement particulier sinon singulier, sans aucune légitimité apportée par les sciences cognitives ;
- l'inutilité des "dictées" dans l'apprentissage de l'orthographe ;

- etc.

Chacun pourra continuer la liste...

[1] A la distance physique, géographique, ajoutons la distance symbolique chère à Bourdieu.
[2] http://www.lexilogos.com/francais_langue_dictionnaires.htm

Friday, September 29, 2006

ELOGE DE LA PENSEE UNIQUE

par F.-M. Arouet
Soyons clairs ! Disons-le d'emblée : la contradiction est malvenue dans de nombreux établissements scolaires[1]. L'Ecole n'est plus un lieu de débats d'idées – l'a-t-elle jamais été ?


Au contraire, tout se passe comme si les « décideurs » – pouvoirs organisateurs et directeurs – cherchaient avant tout à s'entourer de collaborateurs qui présentent – par conviction ou par intérêt – le même profil qu'eux.


Exit les contestataires ! Ils sont vite taxés de râleurs, d'empêcheurs de tourner en rond ou de désabusés, voire d'enseignants "mal dans leur peau". Sitôt qu'on s'oppose à un changement, quelles qu'en soient les raisons, sitôt qu'on résiste, on devient l'ennemi numéro un.



Et les meilleures explications psychologiques sur le changement sont transformées en interprétations psychologisantes à l'emporte-pièce : peur du changement, corporatisme, difficultés d'adaptation…


Ces décideurs, bloqués dans leur vision du monde dysneylandisée – où tout doit être lisse, standardisé et déconflictualisé – s'enferment dans des tours de verre dont les murs leur renvoient leur propre image idéalisée.


Dans cette tour, seuls sont admis les quelques affidés, tout prêts à tendre un miroir embellissant aux décideurs. J'ai connu plusieurs enseignants prêts à tout pour obtenir des avantages : du prof qui retourne sa veste à chaque changement de direction au flatteur servile qui parvient, quel que soit le contexte, à arracher des prérogatives refusées à d'autres. La pensée unique induit la collaboration et entretient la servilité. Qui a écrit un jour que l'Ecole devait jouer un rôle subversif ?


Ces petits groupes "d'amis" ainsi constitués ont fait du consensus mou leur spécialité. Ils parviennent à grand frais à inventer des systèmes obscurs ou à élaborer des discours flous qui ont pour but de ne rien décider. Disant tout et son contraire, ils peuvent en toutes circonstances démontrer à n'importe qui qu'ils ont raison. On ne leur apprend jamais rien, ils ont toujours pensé à tout et il serait trop long d'expliquer à la masse ignorante des collègues les centaines de bonnes raisons qui les ont poussés à décider ou à ne pas décider. De toutes façons, en ultime recours, ils invoquent l'argument d'autorité : ils ne sont pas tenus de se justifier !

Or le conflit est d'une part inévitable, d'autre part porteur d'une incroyable dynamique. Des biologistes aux anthropologues, des psychologues aux entomologistes, tout le monde dira que l'endogamie, la fermeture d'un groupe à l'extérieur, est synonyme à plus ou moins long terme de disparition, de mort ! Malheureusement, c'est la mort de l'Ecole que ces décideurs signent !

[1] Il faut cependant admettre qu'il existe des écoles où les enseignants peuvent participer activement à la prise de décisions.

DES ARMES DE DISCUSSION MASSIVE

par Jill de Binche et Juan d'Ath
Quelques notions de psychologie de la communication ont envahi le cadre scolaire depuis plusieurs années. Et elles n'ont pas apporté que des avantages aux relations entre les personnes…


Une de ces notions, c'est l'écoute active. En un mot, l'écoute active est un moyen pour un professionnel de « faire voir à diverses reprises qu'il a non seulement entendu le message de son interlocuteur mais l'a aussi bien compris »
[1].


Tout n'est pas inintéressant dans cette technique, bien sûr. Au contraire, l'écoute active est un préalable indispensable pour une communication de type relation d'aide.


Le problème est que ces techniques ont été complètement isolées de leur contexte et qu'elles prétendent s'apprendre en une formation d'un jour ou deux.


Réduites au minimum, ces techniques professionnelles ne sont plus que phrases creuses, répétées mécaniquement quel que soit le contexte ou l'interlocuteur. En bref, elles ont été vidées de leur substance et ne sont plus que des gadgets communicationnels qui ratent le plus souvent leur cible.



Les adeptes de l'écoute active « allégée » distribuent à tour de bras des « Je vous entends » ou des « Je peux comprendre ». Ces phrases sont censées montrer à l'interlocuteur qu'on écoute effectivement ce qu'il nous dit, que l'on peut accéder à son mode de réflexion et donc que l'on fait preuve d'empathie à son égard.

En réalité, la personne qui s'entend répondre « J'entends, j'entends » (il convient en effet de répéter deux fois l'assertion, pour s'assurer que l'autre a bien compris qu'on l'avait compris !) a plutôt le sentiment qu'on se fout de sa poire et que le « J'entends » est une variante plus socialisée du « Parle à mon cul ma tête est malade ».


La plupart du temps d'ailleurs, quand, dans une conversation, un interlocuteur s'entend répondre « J'entends », il marque une courte pause, un bref silence et l'on peut voir les traits de son visage esquisser des marques de surprise. C'est précisément à ce moment-là qu'il se demande si l'autre le prend pour un con ou pas. Mais ces marques de surprise sont interprétées, par les maîtres de l'écoute active, comme le signe que la communication s'établit correctement, l'autre n'ayant pu s'empêcher de s'étonner qu'enfin quelqu'un l'entendait vraiment !


Oui à l'écoute active (et certains enseignants l'utilisent pertinemment), mais pas n'importe comment et surtout pas comme une technique rigide indépendante du contexte de la communication, qui nous donne envie de répondre : « J'aimerais que l'on m'entende un peu moins et que l'on m'écoute un peu plus ! »


Mais une autre notion fait des ravages. C'est celle des « messages je » ! Un « message je » s'oppose à un « message tu ». Le « message tu » est un jugement (« Tu es pénible ! ») ou un reproche (« Tu ne rends jamais tes travaux à temps ! »). Très mauvais pour la communication ! Ils doivent être remplacés par des « messages je », centrés sur soi et son ressenti, plutôt qu'orientés vers les autres. « Quand tu m'interromps tout le temps, j'ai le sentiment que tu ne m'écoutes pas ». Ou encore : « Je suis mal si je ne vois pas ton travail dans la pile des corrections ». Plus de jugement, plus de reproche et la communication peut enfin s'établir !


Le problème, de nouveau, vient d'un usage inapproprié et incorrect des « messages je » (dont je doute personnellement de l'efficacité, je préfère centrer une discussion sur des faits, que l'on emploie la 1e ou la 2e personne du singulier, mais c'est un autre débat). Et j'ai déjà entendu des professeurs « communiquer » par des « messages je » en s'en envoyant des vertes à la figure. Dire : « Je trouve que tu es une chieuse », plutôt que : « Tu es une chieuse », ça a bien l'apparence d'un « message je » sans trop en avoir le contenu
[2].


Apprendre à formuler de tels messages, cela demande beaucoup d'entraînement, d'introspection et de pratique. Ce qu'une formation de quelques heures, dispensée par un formateur lui-même formé quelques heures seulement, ne pourra jamais apporter.

[1] Gordon T. (1981). Enseignants efficaces (p. 76). Le Jour, Editeur.
[2] Un « message je » doit répondre à trois critères importants : (1) inciter l’autre à modifier son comportement, (2) vehiculer une évaluation minimale de l’autre et (3) ne porter aucun préjudice à la relation (Gordon T., op.cit., p.185).

LES PSYCHODUPEURS

Quand ils entendent le mot « psy », beaucoup d'enseignants sortent leur revolver. Et ils ont raison. Je suis même souvent tenté de leur passer quelques balles. Attention, disons-le tout de suite : je suis aussi psychologue. Je me réjouis donc que la psychologie soit entrée dans le domaine scolaire. Elle peut être éclairante et très intéressante dans beaucoup de domaines : échec, phobie scolaire, décrochage…


Si cette psychologie-là présente un intérêt indiscutable, il n'en va pas de même pour une pseudo-psychologie de bas-étage, portée souvent par des non-psychologues. Portée souvent par des non-psychologues qui entretiennent une confusion nuisible à la crédibilité de toute la profession de psychologue.


Comment différencier un psychologue d'un psychodupeur ? Ce n'est pas très difficile.


D'abord, le psychodupeur assène des jugements à l'emporte pièce, alors que le psychologue a bien appris à ne jamais poser que des hypothèses. Les psychodupeurs adorent les étiquettes et les explications toutes faites : « C'est l'oedipe ! », « Il est psychorigide ! », « S'il ne participe pas à la sortie scolaire, c'est parce qu'il a peur d'aller vers les autres ! », etc.

Deuxièmement, le psychodupeur balance des conseils à tour de bras, même si on ne lui a rien demandé, surtout si on ne lui a rien demandé. Il conseille, mais en fin de compte il tente d'imposer sa façon de voir les choses, car le psychodupeur est certain d'avoir tout compris avant les autres et mieux que les autres.

Troisièmement, le psychodupeur condamne. J'ai entendu un jour un psychodupeur culpabiliser une mère qui passait un dvd à sa fille : la télé gardienne, l'objet qui remplace l'humain, l'absence de commmunication, l'indifférence des parents prêts à tout pour que leur gosse soit tranquille… tout y est passé !

Enfin, le psychodupeur généralise. Ainsi, l'un d'eux aime répéter : « Tout le monde sait que les adolescents feront une chose dès qu'elle est interdite. Ils aiment braver l'interdit ! » Faux ! Certains adolescents, oui. D'autres, pour des raisons un peu longues à expliquer, préfèrent respecter ces mêmes interdits.

La complexité du monde, voilà en bref ce que le psychodupeur ignore ! Il est aussi incapable de penser l'altérité, c'est-à-dire qu'il puisse exister une autre façon d'être que la leur. Ou plutôt, ils ne peuvent admettre qu'il existe d'autres bonnes façons d'être que la leur !

Qu'est-ce qui motive ces psychodupeurs ?
Que cherchent-ils à compenser en usurpant les prérogatives d'une profession à laquelle ils n'ont pu avoir accès ? Probablement trouvent-ils dans cette situation des bénéfices, comme une forme de pouvoir à exercer sur autrui. Le pouvoir de celui qui sait, de celui qui a compris les événements de l'intérieur.
Le pouvoir aussi de celui qui juge, qui prétend mieux connaître les personnes que les personnes elles-mêmes. Qui prétend connaître à leur sujet des choses qu'elles-mêmes ignorent.

Peut-être, enfin, la satisfaction démagogique d'être un professeur qui recueille les confessions des jeunes, confessions qu'ils obtiennent parfois grâce à une pression implicite sur l'adolescent.

Toujours est-il qu'un certain nombre de ces psychodupeurs semblent avoir des comptes à régler avec leur propre scolarité, comptes qu'ils règlent aujourd'hui avec leurs collègues. L'énergie orientée mal à propos vers les autres – et qu'ils dépensent en vain – n'auraient-ils pas plus intérêt à la consacrer à l'introspection ?

L’école ne doit pas faire le travail des psys (sauf, peut-être, si ce sont de vrais psys qu’ils le font), mais doivent travailler avec les psys. De son côté, le psy, recevant un enfant en consultation privée, ne fera pas le travail d’un enseignant.

Chacun a sa spécialisation, ses compétences professionnelles et ses domaines d’action. Développer des réseaux de professionnels devient la seule solution pour faire face à des situations multiples et complexes. Mais il faut pour cela que chacun accepte la place qu’il lui revient et ne s’estime pas en droit de revendiquer celle d’un autre, parce que l’herbe y paraît plus verte.

POURQUOI CE BLOG ?

Depuis plusieurs années, je suis interpellé par plusieurs « innovations » qui ont été injectées dans les pratiques enseignantes, par les ministères, fédérations, syndicats, voire par les enseignants eux-mêmes.

Quelques « innovations » qu'on aurait mieux fait d'éviter ou de réfléchir davantage et qui pompent l'air quotidien de milliers d'enseignants. Ces « innovations » seront passées en revue dans ce blog, non sans un certain cynisme. Le lecteur est averti…

Je ne parlerai pas nécessairement de l'école dans laquelle je travaille et j'ouvrirai ce blog à des contributions extérieures.

Cependant, toute ressemblance avec des personnes ou des événements existant ou ayant existé ne sera ni fortuite ni involontaire…

MANIFESTE POUR UNE TREVE SACREE

J'enseigne depuis dix ans et j'ai connu pendant cette décennie un nombre incroyable de réformes ou de décrets qui ont bouleversé les pratiques professionnelles. Enseignant le français en matière principale, j'ai dû travailler sur trois programmes différents au premier degré et deux pour le deuxième degré. J'ai connu les socles de compétences, les compétences terminales, le décret Missions, deux réformes des congés maladie (dont la seconde annulait les effets de la première !), le contrat d'avenir pour l'école. Et j'en passe peut-être !

La plupart de ces décisions ont été accueillies froidement par un corps professoral à qui on a reproché son inertie, son manque de conscience professionnelle ou son repli identitaire. On a dit de nous que nous étions incapables de nous remettre en question et on a douté de notre capacité d'adaptation. « La société a muté, disait-on, l'enseignement de papa est terminé. Les enseignants doivent apprendre à aller de l'avant ».


Et ils sont tous allés de l'avant
Ils ont tous revus leurs leçons, contrairement à ce que l'on a voulu faire croire. Les enseignants se sont adaptés à toutes les réformes qui leur ont été imposées, mêmes les plus stupides, mêmes celles qu'ils avaient combattues âprement dans les rues (désolé de décevoir ceux qui croyaient qu'ils étaient descendus en rue pour ne pas travailler !)

Bien sûr, certains ne les ont pas appliquées totalement. Ils ont intégré les nouveautés à leurs pratiques anciennes, créant ainsi une multitude de pratiques singulières, plus ou moins éloignées des programmes officiels, mais en lien avec leur passé et leur histoire professionnelle.

D'autres ont tenté de développer de nouvelles pratiques les plus proches possibles des recommandations officielles. Quelques-uns par réelle conviction, d'autres par un excessif souci professionnel. Ces derniers y ont aliéné leur identité, ce qui les a plongés dans une profonde souffrance professionnelle.

Oui, les enseignants ont suivi les réformes. Mêmes si celles-ci étaient lancées trop vite, sans réelle réflexion, dans l'urgence politicienne. Par exemple, et sans trop entrer dans les détails, la réforme des compétences a été mise en place sans une réelle réflexion sur leur évaluation. Faux, diront les géniteurs de la réforme ! Evidemment, on pouvait assez tôt lire quelques lignes très générales ou quelques documents crachés à la va-vite, mais rien de plus. Rien de suffisant.

Les problèmes, ce sont les enseignants qui les ont soulevés et qui ont interpellé les formateurs, conseillers et inspecteurs, qui leur ont parfois répondu qu'ils devaient faire preuve d'imagination ! En d'autres termes, ils devaient trouver aux-mêmes les réponses aux problèmes que d'autres leur posaient!

Mais pourquoi toutes ces réformes ?
Parce que l'école est en crise, bon sang ! Tout le monde le sait ! Les enfants qui s'y ennuient le savent. Les parents, pour qui tout était mieux avant, le savent aussi. Les enseignants abusés et désabusés le savant mieux que quiconque. Les médias le savent, parce que les médias savent tout. Les entreprises le savent parce qu'elles ne parviennent pas à trouver du personnel qualifié. Les ministres le savent, parce qu'un ministre, par définition, c'est savant. Et l'Europe le sait aussi, parce que l'Europe a un avis sur tout et que cet avis est toujours le bon. Enfin, l'enquête Pisa a montré cette crise et l'a même montrée scientifiquement !

La crise de l'école est une évidence sociale partagée par tous… mais jamais interrogée. Loin de moi l'idée de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Bien sûr, il y a de gros problèmes dans notre système éducatif.

Mais qu'y a-t-il de réellement neuf dans tout cela ?
Dès l'Antiquité, les philosophes se plaignaient de la jeunesse qui, déjà, n'était plus ce qu'elle avait été de leur temps. Au moyen-âge, les professeurs d'université soulignaient la bêtise de certains de leurs étudiants et s'inquiétaient de l'avenir. L'école n'a jamais vraiment vécu un âge d'or et durant toute l'histoire, des pédagogues ont fustigé l'école « traditionnelle » – qui n'était autre que l'école « contemporaine » – pour proposer une autre vision de l'enseignement, censée réussir là où les autres avaient échoué. Et cela, de Coménius à Freinet et de Freire à Makarenko. Cette crise de l'école se retrouve à travers les siècles et les continents !

On est en droit de se demander alors si ce n'est pas le propre de tout système vivant – je veux dire par là animé d'une force quelconque – d'être en crise ? L'état de crise n'est-il pas inhérent à tout système, que ce soit l'école, la famille, le couple, l'état…

Si par crise on entend tout événement après lequel plus rien ne pourra être comme avant – qui est la définition que certains systémiciens lui donnent – on comprend que les crises sont inévitables, voire souhaitables.

Dans un petit livre parfois urticant, Michel Develay[1] signale qu'il existe deux origines sémantiques du mot crise. La première, grecque, vient de krisis et renvoie à une période critique dans l'évolution des choses. La crise est un état de tension maximal, essentiellement désagréable : crise d'angoisse, crise d'épilepsie… Elle est, dans cette acception, un état, plus ou moins temporaire, à l'issue incertaine et souvent malheureuse.

L'autre origine est chinoise. La crise possède alors un double sens : celui de fin et de recommencement. La crise entérine la fin d'un état, d'une situation, mais elle est annonciatrice de changement. Une chose meurt, mais une autre prend sa place. La crise n'est plus un état, mais un processus dynamique.

L'école est en crise !
La belle affaire ! Depuis son invention, elle n'a cessé d'être en crise. Mais pendant de nombreux siècles, elle en est sortie grâce aux ressources du système lui-même. La crise a initié de nombreuses réflexions, qui ont engendré de nouvelles pratiques, des pratiques multiples, parfois contradictoires, mais qui témoignaient toutes d'une grande vitalité du système, de sa bonne santé.

Où est le problème alors ?
Le problème ne résiderait-il pas dans cet acharnement politique et politico-pédagogique ? La difficulté de tout système en crise, difficulté qu'il surmonte par ses ressources propres, a été transformée en problème suite à l'intérêt excessif, à l'ingérence même de facteurs périphériques qui ont ruiné cette capacité de survie qu'avait l'école, qui ont déstabilisé sa dynamique interne. Le processus créatif de revalidation du système a été bloqué et la crise est devenue un état permanent.

Comment sortir du problème ?
En sortant d'un séminaire de la Biennale de l'Education de Lyon, j'entendais quelques collègues discuter sur ce qu'il faudrait à l'école pour sortir de la crise. Les solutions étaient variées : pousser les réformes plus loin, désacraliser l'institution scolaire, donner davantage la parole aux élèves pour qu'ils s'ennuient moins…

En bref, il s'agissait de faire toujours plus de la même chose ! Que cette « même chose » n'ait pas fonctionné avant, personne ne s'en préoccupait ! Ce qui importait surtout, c'était d'enfoncer le clou davantage ! Pas de changer de direction, pas de trouver d'autres solutions !

Si votre enfant fait pipi au lit depuis une semaine et que vous lui administrez une gifle tous les soirs, en vain, ce n'est pas avec deux gifles de plus que les choses vont changer. Il faudra trouver autre chose, qui soit une meilleure idée que les gifles (ça, ce n'est pas difficile).

Et bien, à l'école, c'est le même : l'institution pisse au lit depuis des années et elle reçoit des gifles depuis des décennies, des gifles dont l'intensité ne cesse de croître avec le temps.

Pendant cette discussion, j'étais resté silencieux, ce qui avait fortement surpris mes collègues. L'un d'eux avait fini par me demander :
- « Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? De quoi l'école a-t-elle besoin pour toi ?
- Pour moi, répondis-je, ce dont l'école a besoin ?
- Oui !
- Eh bien, je pense que ce dont elle a besoin avant tout, c'est qu'on lui foute la paix quelques années !
- Quoi ?
- Oui, qu'on la laisse respirer. Qu'on laisse les principaux concernés retrouver leur capacité d'innovation, plutôt que de les faire passer pour des incompétents et des assistés qui ne pourraient jamais s'en sortir sans « l'aide » de pédagogues de bureau.
- Tu veux qu'on laisse les profs tranquilles !
- Les profs, les élèves, les parents ! Ce ne sont pas des abrutis ! Ils connaissent le système mieux que personne ! Ils savent mieux que quiconque ce qui est bien pour eux !
- Tu veux dire qu'il faudrait organiser des conférences où ils pourraient partager…
- Foutaise ! Qu'on n'organise rien pour eux, ils s'organiseront bien tout seuls ! Et de la manière qui les arrangera le mieux !
- Tu te rends compte que c'est impossible…
- Impossible, oui, je sais. Impossible parce qu'on ne supporterait jamais dans notre pays de laisser un si grand nombre de personnes sans contrôle, sans pilotage, sans inspection, sans conseil, sans leçon…
- Tu es sérieux ?
- Sérieusement, ce dont l'école a besoin, selon moi, c'est d'un peu de sérénité, d'un peu de souffle. Tu sais ce qui serait formidable ?
- Non !
- Une sorte de trêve sacrée. Comme un armistice : l'assurance de foutre la paix à l'école pendant au moins deux législatures. Et puis on verrait, on évaluerait… Ça ne coûte rien d'essayer.
- Tu rigoles, ça sacrifierait deux générations d'élèves…
- C'est sûr que pour l'instant, elles ne sont pas sacrifiées ces générations-ci ! Tu supportes ça, toi ?

Voilà, à peu près, le dialogue qui eut lieu à cette Biennale. J'avais un peu lâché cette phrase par provocation… « Foutre la paix à l'école… » Mais en y repensant, je n'avais peut-être pas totalement tort. Depuis, je n'ai cessé de penser à plusieurs « innovations » qui ont été injectées dans les pratiques enseignantes, par les ministères, fédérations, syndicats, secrétariats, voire par les enseignants eux-mêmes. Quelques « innovations » qu'on aurait mieux fait d'éviter ou de réfléchir davantage. Quelques « innovations » qui pompent l'air quotidien de milliers d'enseignants. Quelques « innovations » qui, dans ce blog, seront passées en revue…non sans un certain cynisme. Le lecteur est averti…

[1] Develay M. (1996). Donner du sens à l’école. Paris : ESF.